Confidences de Maman : Comme si le temps était suspendu !
Publié le
19/05/2022
Catégories :
Bébé à l'hôpital
, Etre parents de prématurés
Elia se confie pour la première fois, elle sent que le moment est venu de poser des mots sur cette grossesse inachevée, sur son accouchement en urgence, ses peurs, ses angoisses et ces 27 jours en néonatalogie auprès Jules.
« Je vais commencer par le commencement. Je m’appelle Elia, j’ai 30 ans, je suis Suisse et je suis laborante en géotechnique. Je suis avec Jérémie depuis 5 ans et nous sommes mariés depuis un peu moins d’une année. On avait un plan. Mais comme souvent, dans la vie, on est surpris.
Fin 2019 mon mari et moi on boucle un voyage en Nouvelle Zélande pour novembre 2020, van, billets d’avion, trajets, tout était prêt. On décide que ce voyage sera notre dernier à deux, qu’on lancera le projet « mini-nous » en terre Kiwi. Et puis, Pandémie Coucou. Que cela nous tienne, pas de voyage à proprement parlé mais on garde le projet « mini-nous ».
Je tombe enceinte rapidement, Janvier 2021 la machine était lancée. Début de grossesse difficile pour moi. Beaucoup, beaucoup de fatigue et de nausées. Heureusement, au bout de trois mois cela passe. Ma grossesse se passe sans soucis. Je pense que je ne peux pas vraiment dire que je l’ai savouré, ou du moins maintenant, si j’avais su je n’aurai pas râlé de tous mes petits maux de grossesse. Bref, le terme est prévu pour le 30 septembre 2021. Mais tant qu’à avoir un gros chamboulement, autant tout faire en même temps. On déménage en mai 2021, on se marie en Juin 2021 et théoriquement on deviendra parents fin septembre 2021.
- Photo personnelle -
En juin, j’ai un contrôle chez mon gynécologue, bébé va bien, il grossit bien, prise de poids normale. Je travaille toujours et ça va. Je calme un peu les chantiers gentiment car la fatigue physique se fait ressentir de plus en plus. Bref, on s’installe tranquillement dans notre nouvel appartement. Puis juillet, nouveau contrôle, pour info, je suis suivi par un gynécologue de ville qui contrôle mensuellement l’avancée de ma grossesse. Là, il remarque que mon col est tassé. Il l’avait déjà remarqué la fois d’avant mais rien d’urgent. Là encore, ce n’est pas un extrême tassement. Mon col était de mémoire à 27.8mm et on considère que c’est à surveiller à partir de 30 mm donc ce n’est pas non plus la folie. Quoi qu’il en soit à ce moment-là, il m’arrête. Je ne suis pas alitée mais je dois lever le pied. On est en juillet, je vous avoue que sur le moment, je me dis que je vais pouvoir tranquillement finir de vider les cartons, profiter de mon été, préparer la chambre de bébé et fantasmer mon accouchement mon allaitement et tout ce qui entoure la périnatalité. Bien entendu, je souhaitais un accouchement physiologique dans l’eau, allaiter pendant 2 ans, faire du cododo, etc. Donc je me renseignais au mieux pour faire cela. De toute manière, dans ma tête, fin septembre c’était loin. On avait le temps…
Juillet passe, un petit bout du mois d’Août passe, on commence vraiment très doucement à faire la chambre de bébé. Et là c’est l’enchainement. Attention il va y avoir une cascade d’évènements aussi improbable les uns que les autres. Le jeudi 12 août 2021 on finit de monter le meuble de la cuisine, le vendredi 13 août on achète la poussette 3-en1. Et le samedi 14 août, dans un monde théorique, j’allais fêter mes 30 ans chez des amis. Sauf que, comme la Nouvelle-Zélande, ça ne s’est pas vraiment passé comme prévu…Décidemment on a le nez creux chez nous…Dans la nuit du vendredi à samedi j’ai eu de très fortes contractions. Enceinte de 33 SA, je me suis dit que c’étaient des « fausses contractions ». J’ai passé la nuit à me réveiller toutes les 10 minutes parce que j’avais mal, ou, attention meilleur reflexe du monde, chercher des réponses, pour me rassurer, sur internet. Spoiler, je n’ai pas été rassurée, mais malgré tout, je pense que cette idée lumineuse nous a sauvé la vie, à mon bébé et moi. J’avais gardé dans un coin de ma tête que si les contractions faisaient mal c’est que c’étaient des vraies. J’ai pensé toute la nuit que j’avais besoin d’aller aux toilettes. Une envie de pousser, du jamais vu… J’ai appris plus tard que c’était parce que le Bébé était en train de descendre. Bref, après mes tours aux WC et sur internet, le samedi matin arriva, je décide quand même de prévenir mon mari que je ne vais pas très bien, mais sans vouloir lui faire peur, je n’avais pas peur, à aucun moment je me disais que je pouvais accoucher. On était à 33 SA… J’appelle l’hôpital, j’explique mon cas, on me dit de tester plusieurs choses et que si ça ne passe pas au bout d’une heure, je dois venir faire contrôler…et bah au bout d’une heure on va contrôler ! Je conduis, je rassure mon mari, je ne vais pas accoucher aujourd’hui je suis à 33 SA et surtout j’ai mon anniversaire après… avec du recul je me dis que je m’accrochais à ce qui me rassurait. Car la réalité me dépassait.
On est très vite pris en charge alors que c’est un samedi noir, les urgences maternité sont blindées, à tel point qu’on est plusieurs femmes enceintes à devoir attendre debout. A ce moment là, dans ma tête je viens pour contrôler, pour me rassurer et je m’excuse auprès de la gynécologue qui va m’ausculter, d’être surement venue pour rien. On me met un monitoring, les constantes et échanges avec bébé sont bons, elle va donc contrôler le col, et là…après un silence qui me semble interminable, elle m’annonce de la manière la plus douce possible que, une partie de la poche des eaux est dehors et qu’elle voit le dessus de la tête de mon bébé. A ce moment, tout s’effondre, je ne comprends vraiment rien à ce qui arrive, je pleure comme une enfant, à tel point que c’est la gynécologue qui doit expliquer à mon mari ce qui arrive. Ensuite tout s’enchaine et paradoxalement tout s’arrête. On me pose des perfusions, on m’injecte des corticoïdes pour la maturation pulmonaire. Le but du jeu ? Le garder dans mon ventre au moins jusqu’au lendemain 14h. Je n’y suis pas arrivée. Après plusieurs ralentissements cardiaques de lui puis de moi, les échanges entre le placenta et le bébé ne se faisaient plus, on déclenche. Pose de la péridurale en catastrophe, car je refuse l’anesthésie général en cas de césarienne d’urgence. Dans la salle de travail, une nuée de personnes entre. Pédiatre, Sage-femme, Gynécologue, équipe de réanimation etc. Puis, Dimanche 15 Août 2021 à 4h44, après 14 minutes de poussées, Jules est né. A peine le temps de me rendre compte que mon fils est là, qu’on l’embarque en urgence. Jules ne respire pas. On a rapidement des nouvelles, ça va. J’ai pu découvrir mon bébé bulle à 7h30. Je ne comprends rien, j’entre dans cette chambre, sa chambre ? L’unité de réanimation néonatale. Je vois ce minuscule petit bébé avec des câbles partout, dans ce minuscule lit de réa. Je ne me rends pas compte que le bébé que je vois est mon bébé. Je ne pleure pas, je suis abasourdie. Je ne comprends rien. Je me tiens le ventre qui est encore rebondi comme pour être certaine de comprendre l’incompréhensible. Et puis, je touche Jules délicatement, il attrape mon petit doigt qui parait immense dans sa si petite main. Et là, là je comprends. Je réalise, je réalise que mon bébé n’est plus en sécurité dans mon ventre, que j’ai échoué à ma première mission de maman. J’ai l’impression d’avoir projeté mon tout petit dans un monde hostile. Je m’en veux, je suis en colère, j’ai peur. Peur de ne jamais ressortir avec lui.
- Photo personnelle -
Jules est né à 33SA +2, outre l’arrêt respiratoire à la naissance, il fait face à de l’hyperinsulinisme. En gros il ne métabolise pas le sucre. Il a en permanence une perfusion de glucose. Une Cpap qu’il gardera seulement 48h, puis il passera aux lunettes. Et des minuscules câbles partout. J’apprends à comprendre mon fils en regardant une machine, je ne trouve pas ma place. La mise au sein est une épreuve pour lui comme pour moi. Il est nourri en continue par sonde et la mise au sein le fatigue énormément. En plus j’ai peur, peur de l’écraser avec mes seins, il est si petit. On décide très vite que je tirerai mon lait. Petit à petit j’ai envie de dire on s’adapte. Mais on ne s’habitue jamais. On prend comme on peut nos marques de parents. Un jour, alors qu’on était en peau-à-peau il fit une « bêtise », ses plaquettes chutent. Il fait une thrombopénie. Risque d’hémorragie. On me l’enlève, sans me ménager vu la situation. Et je pense que c’était vraiment la première fois que j’ai pris conscience de la fragilité de la situation. Je me suis retrouvée là dans cette chambre seule avec une infirmière, le ventre et la gorge nouée alors qu’on m’arrachait mon bébé pour la deuxième fois. La seule chose dont je voulais m’assurer c’est que mon bébé n’allait pas mourir. Je n’ai jamais entendu un silence si pesant. Et j’ai compris. Mon fils pouvait mourir à tout moment. Et là c’est l’enfer qui s’ouvre. On est aspiré et projeté dans la pire configuration possible, dans cette partie qu’on refuse tous de voir. Mais qui existe. Heureusement pour nous, le sort nous a été favorable.
Petit à petit jules progresse et on change de coté de couloir, on passe en soin intensif et plus en réanimation. C’est un petit pas vers la sortie. On s’autorise à lui acheter des touts petits bodys. Mais un sentiment perdure, est là, en arrière-plan, tout le temps. Pendant que je suis au près de lui, pendant que je dors avec mon téléphone sur la figure de peur que la néonat m’apprenne l’inimaginable, quand je tire mon lait seule dans mon salon à 4h du matin, pendant qu’on le voit évoluer de jour en jour, la culpabilité vient ajouter une chappe de plomb sur cette épreuve que mon bébé traverse. Pourquoi je n’ai pas été capable de le garder en sécurité dans mon ventre ? J’avais un job, j’ai échoué. Les jours passent et Jules gagne des paliers de jours en jours. On le change de berceau, et puis un jour, on lui enlève sa sonde de glucose, et le boitier, on passe de 15 à 20 piqures dans le talon par jour à seulement deux. C’est une victoire et un cap incroyable pour nous. Vu que sa glycémie était stable, on a pu changer d’hôpital. C’était très émouvant de sortir de là, mais d’une incroyable violence quand j’ai vu mon bébé guerrier dans cette couveuse mobile. Je savais que ce n’était pas un retour en arrière pourtant ce fût un choc. Toutes les émotions dans cet environnement sont décuplées. On nous avait dit qu’on allait rester longtemps dans ce nouvel hôpital, qui, faut le reconnaitre est beaucoup moins médicalisé que les services de réanimation néonatales. Et puis encore une fois, Jules nous a tous pris de court… il lui restait la sonde gastrique, puis deux jours après, un matin, à notre arrivée, pour la première fois en 25 jours, on a pu voir le vrai visage de notre bébé. Sans sondes, sans câbles, sans masques. Rien. Juste notre merveilleux petit garçon. Il arrivait à se nourrir seul, puis deux jours après…le moment qu’on osait imaginer est arrivé. Le moment, que, paradoxalement, on redoutait. LA SORTIE ! Après 27 jours, ce qui n’est rien par rapport à certaines histoires, mais qui parait une éternité en même temps, on sortait. On sortait à trois pour de vrais, comme des parents normaux. On allait pouvoir débuter notre apprentissage de parents et voir notre bébé grandir. Ça y’est c’était notre tour ! Notre vie a commencé le 11 septembre 2021.
- Photo personnelle -
Je vous avoue que quand j’ai commencé ce témoignage, je pensais que ça serait très factuel d’expliquer la néonat. Que ça serait simple de dire ce qui m’avait marqué ou ce qui était important. Mais là j’ai l’impression que tout est important. Comme si on avait passé des semaines entre la vie et la mort. Comme si le temps était suspendu. L’extérieur n’a plus de sens. Notre vie s’arrête quand on passe les portes coulissantes. Elle reprend du sens quand le bip du badge s’ouvre sur ce couloir où se mélange les alarmes de nos bébés et un silence lourd. Je ne sais pas trop comment terminer mon témoignage, j’ai écrit un texte le jour de la sortie de Jules et je pense qu’il résume assez bien tout ce qu’on a pu ressentir.
Tu es arrivé le 15 août, tu étais prévu pour le 30 Septembre. Ta première chambre n’était pas celle qu’on espérait pour toi, elle était remplie de machine, de tubes et de sons qui nous étaient inconnus. Nos premiers pas de parents n’étaient pas non plus ceux que nous avions imaginé, on a du faire une place à un vocabulaire, un endroit et à des personnes qu’on ne connaissait pas, une réalité qui nous paraissait inconcevable, à des peurs, des larmes et surtout à des moments de joies et d’émotions incroyables. Tu as évolué tellement vite, tu t’es battu comme jamais nous en aurions été capables. En 27 jours, tu nous as appris l’humilité, l’amour et la patience comme personne n’aurait pu nous l’apprendre. 27 jours que notre vie a été chamboulée et qu’on a du faire de cette réalité la nôtre. Mais aujourd’hui, c’est maintenant que tout commence pour nous trois. Après 27 jours de peurs, d’angoisses, de larmes d’impatience, tu es avec nous. On est sorti, pour la première fois, les trois, sur du Queen. Mon petit chat, aujourd’hui comme il y a 20 ans, on ne verra plus jamais la vie de la même manière. Bienvenue Jules »
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